Abidjan, 1
avril 2003: L'organisation internationale Human Rights Watch vient
juste de publier un rapport sur la traite des enfants au Togo, en
particulier la traite des filles à destination d'emplois domestiques
ou sur les marchés, et la traite des garçons vers des
emplois agricoles.
Daté d'avril 2003, le rapport est intitulé: 'Aux
frontières de l'esclavage, la traite des enfants au Togo'.
Il note que des centaines d'enfants sont soit envoyés hors
de ce pays, soit accueillis dans ce pays, soit ils transitent par
ce pays.
Il souligne qu'ils sont recrutés sur de fausses promesses
d'éducation, de formation professionnelle et d'emploi rémunéré.
Ils sont transportés dans le pays ou au-delà des frontières
nationales dans des conditions qui parfois mettent leur vie en péril.
Ils sont contraints à des travaux dangereux, ils sont exploités,
soumis à des sévices physiques et mentaux de la part
de leurs employeurs et s'ils s'échappent ou sont libérés,
les protections nécessaires à leur réintégration
dans la société leur sont refusées.
Un "épouvantable engrenage
de faits"
D'après HRW, leurs histoires révèlent "
un épouvantable engrenage de faits " que le gouvernement
togolais n'a pu briser jusqu'à ce jour.
Le rapport indique que le commerce des enfants au Togo illustre
un phénomène régional plus large impliquant
pas moins de treize pays ouest-africains. Sur la base de témoignages
d'enfants et d'experts locaux, HRW a identifié quatre voies
pour la traite des enfants en direction du Togo, hors du Togo ou
au Togo même :
Celles-ci incluent:
(1) la traite des filles togolaises pour des emplois domestiques
et sur les marchés au Gabon, Bénin, Nigeria et Niger
;
(2) la traite des filles à l'intérieur du Togo vers
d'autres régions du pays, en particulier la capitale, Lomé
;
(3) la traite des filles du Bénin, du Nigeria et du Ghana
vers le Togo ; et
(4) la traite des garçons vers le Nigeria, le Bénin
et la Côte d'Ivoire.
Les enfants interrogés par l'organisation HRW venaient en
majorité de milieux pauvres et agricoles et avaient, dans
l'ensemble, peu fréquenté l'école avant d'être
victimes de cette traite. Dans de nombreux cas, les enfants ont
été recrutés par des trafiquants alors qu'ils
étaient à cours d'argent pour payer leurs frais de
scolarité.
Le VIH/Sida accroît indirectement
la vulnérabilité
Nombre d'enfants interrogés ont été victimes
de la traite à la suite du décès de l'un au
moins de leurs parents. D'autres avaient des parents divorcés
ou, au moins un parent vivant et travaillant loin de la maison.
Le virus de syndrome d'immunodéficience acquise (VIH-SIDA),
qui laisse de plus en plus d'orphelins au Togo, a été
identifié par certains experts comme un facteur pouvant faire
de certains enfants des victimes potentielles de la traite.
Les filles interrogées avaient dans l'ensemble été
recrutées soit directement par un employeur, soit par une
tierce personne jouant le rôle d'intermédiaire. Elles
devaient être employées comme domestiques ou sur les
marchés. La plupart se souvenaient d'une certaine implication
de leur famille dans la transaction : parents acceptant l'argent
des trafiquants, parents éloignés payant des intermédiaires
pour trouver du travail à l'étranger ou parents remettant
leurs enfants sur la promesse qu'une scolarité, une formation
professionnelle ou un emploi rémunéré leur
seraient fournis.
Après leur recrutement, dans de nombreux cas, le voyage
des filles comportait une étape intermédiaire où
elles pouvait être abandonnées à elles-mêmes
pendant des semaines ou des mois, avant d'être transportées
vers leur destination, un pays ou une ville, par voiture ou par
bateau.
Beaucoup périssent en chemin
L'organisation a recueilli des informations sur de nombreux cas
de filles empruntant des bateaux du Nigeria vers le Gabon, voyage
périlleux et parfois mortel, précise-t-elle, ajoutant
que dans un cas, le bateau a chaviré au large des côtes
du Cameroun et neuf filles sont mortes.
Celles qui finissent par arriver à leurs destinations sont
remises au domicile des employeurs, où elles travaillent
pendant de longues heures comme domestiques et sur les marchés.
Dès 3 ou 4 heures du matin, des enfants entretiennent des
jardins, transportent et vendent des biens sur les marchés
et font cuire du pain. La nuit, elles travaillent comme domestiques,
préparent la nourriture et prennent soins de petits enfants.
L'organisation a recueilli des informations sur des cas incroyables
de petites filles de trois ou quatre ans seulement, contraintes
de transporter des enfants ou de vendre des marchandises. Pratiquement
aucune fille n'a reçu de rémunération pour
ses services. Beaucoup ont raconté des incidents impliquant
des sévices corporels ou émotionnels qui les ont souvent
poussées à s'enfuir et à vivre dans la rue.
Des responsables de l'organisation non gouvernementale (ONG) Terre
des Hommes ont raconté à HRW qu'ils avaient interrogé
de nombreuses filles victimes de la traite qui avaient été
sexuellement agressées dans la maison où elles travaillaient,
et que certaines étaient devenues séropositives. Une
enfant a confié à HRW qu'elle était forcée
de dormir dans la même chambre qu'un pensionnaire masculin
et qu'elle avait " peur d'être violée ".
Des garçons appâtés
par des promesses de radios, de bicyclettes
Les garçons interrogés par Human Rights Watch avaient,
pour la plupart, été recrutés pour un travail
agricole, dans le sud-ouest du Nigeria. Un petit nombre travaillait
dans des champs de coton au Bénin et un enfant avait été
recruté pour un travail d'usine, en Côte d'Ivoire,
stipule le rapport.
Les trafiquants avaient plus tendance à faire des offres
directes aux garçons eux-mêmes, plutôt qu'à
leurs parents, les attirant par la promesse d'une bicyclette, d'une
radio ou d'une formation professionnelle à l'étranger,
est-il noté.
Contrairement à ce qu'ils attendaient, ces enfants ont été
emmenés pour de longs voyages, parfois périlleux,
vers le Nigeria rural, et exploités sans pitié. La
plupart ont dû accomplir des missions de courte durée,
dans des fermes et les champs où ils ont travaillé
pendant de longues heures, sept jours par semaine. " Quand
on avait fini un travail, ils nous en trouvaient un autre ",
a dit un enfant à HRW.
Les garçons travaillaient dès 5 heures du matin jusque
tard le soir, parfois avec des équipements dangereux comme
des scies ou des machettes. Certains ont décrit des conditions
de travail forcé dans lesquelles les trafiquants qui les
avaient recrutés payaient pour leur voyage au Nigeria et
leur ordonnaient de travailler pour rembourser leur dette. Beaucoup
se sont souvenus que s'ils s'absentaient du travail à cause
des maladies ou des blessures il risquaient d'être obligés
de travailler davantage ou d'être battus.
Les trafiquants violent une série
de protocoles de l'ONU
Les abus décrits entrent pleinement dans la définition
de la traite des enfants contenue dans le Protocole des Nations
Unies visant à prévenir, réprimer et punir
la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants,
qui complète la Convention des Nations Unies contre la criminalité
transnationale organisée (2000, protocole connu sous le nom
de Protocole sur la traite). Le Togo a signé mais n'a pas
ratifié le Protocole sur la traite et le Protocole facultatif
à la Convention des Nations Unies relative aux droits de
l'enfant concernant la vente d'enfants, la prostitution des enfants
et la pornographie mettant en scène des enfants (2000), a
indiqué HRW.
Il a ratifié la Convention relative aux droits de l'enfant
(1989) et la Convention No.182 du Bureau International du Travail
(BIT) concernant l'interdiction des pires formes de travail des
enfants et l'action immédiate en vue de leur élimination
(1999). Cette dernière oblige les Etats parties à
prendre " des mesures immédiates et efficaces "
pour éliminer la traite des enfants " et ce, de toute
urgence ".
Sur le plan régional, le Togo a pris part à des négociations
multilatérales visant à la création d'un protocole
régional contre la traite pour l'Afrique de l'Ouest, et a
signé de nombreuses déclarations d'engagement pour
éradiquer cette pratique, selon HRW.
L'action a du mal à suivre les signatures
En dépit de ces obligations, remarque HRW, le Togo a insuffisamment
progressé vers la réduction du nombre de cas d'enfants
victimes de la traite ou de la gravité de ces cas. Les entretiens
conduits par les chercheurs d'Human Rights Watch ont révélé
l'inadaptation du système togolais de protection et de réinsertion
des enfants victimes de la traite. L'effort déployé
par le Togo pour renforcer le droit national en matière de
lutte contre la traite n'est pas sur la bonne voie, a ajouté
l'organisation.
A tous les Gouvernements de l'Afrique de l'Ouest impliqués
dans la traite des enfants, y compris le Togo, le Bénin,
le Nigeria, le Niger, la Côte d'Ivoire, le Ghana et le Gabon,
HRW a recommandé, entre autres choses, qu'ils prennent des
mesures immédiates et efficaces concernant les poursuites
pour traite des enfants, en particulier par la ratification du Protocole
sur la traite et du Protocole facultatif à la Convention
relative aux droits de l'enfant, également de l'an 2000.
Elle a aussi recommandé de promulguer une législation
faisant de la traite de l'enfant un délit, cohérente
avec les divers protocoles en rapport avec la protection des mineurs.
En attendant, les Etats devraient rapidement enquêter, poursuivre
et châtier les auteurs de la traite des enfants, en utilisant
les lois pénales actuelles.
Le rapport intégral est disponible sur le site:
http://www.hrw.org/reports/2003/togo0403/togo0303.htm#P103_4323
|