Ouagadougou, 22 Avril 2003: Grand "médiateur
et pacificateur" devant l'éternel, le général
Gnassingbé Eyadéma vient de manquer un coche qui va
certainement jeter le froid sur le palais de Lomé II.
A quelque 9 semaines d'une élection présidentielle
pour laquelle sa participation est désormais un secret de
polichinelle, le doyen des Chefs d'Etats d'Afrique de l'Ouest"
aurait bien réchauffé sa côte d'impopularité
sur le brasier, toujours fumant de la crise ivoirienne. Pour une
fois, les bons offices du président togolais ont été
déclinés sans autre forme d'embarras. Laurent Koudou
Gbagbo et Charles Taylor, les deux voisins ennemis qui embrasent
l'Ouest de la Côte d'Ivoire ont décidé de boycotter
le mini-sommet de "réconciliation" prévu
pour ce mardi 22 avril à Pya le village natal d'Eyadéma.
Les messagers de la paix qui ont fait claironner la nouvelle par
les médias internationaux ont dû faire marche arrière.
Du moins, les choses semblaient si précipitées qu'Abidjan
a été bien obligé de décliner officieusement
et à voix basse, l'offre de Lomé, obligeant du coup
le général-président à ranger ses cauris
de médiateur (peut-être pour une autre fois). Pour
une fois, le "doyen" est privé d'un jeu qui lui
a jusqu'ici permis de masquer les contradictions dans lesquelles
il a plongé un pays qu'il dirige sans partage depuis 36 ans.
Surfant royalement sur l'aspiration légitime du peuple togolais
à l'alternance démocratique, il prend un malin plaisir
à prétendre éteindre le feu chez ses voisins
alors que sa propre case est menacée d'explosion. En effet,
on se souvient que c'est au moment même où il jouait
au médiateur dans la crise ivoirienne que son parti, le Rassemblement
du peuple togolais (RPT) modifia la constitution pour lui permettre
de briguer un autre mandat.
Dans l'intention manifeste d'empêcher le principal opposant
du Général à prendre part à l'élection
présidentielle, des dispositions législatives ont
été votées par une Assemblée nationale
exclusivement RPT. Pendant ce temps, le Togo est privé de
l'aide internationale pour dysfonctionnement démocratique
et le peuple est abandonné à son triste sort.
Ainsi, s'il est vrai que ce minuscule territoire de 56 600 km2 ne
connaît pas de rébellion à l'instar de la Côte
d'Ivoire, la situation politique des deux pays n'est pas moins similaire.
Ils sont sur le plan de la gouvernance, affectés par les
mêmes causes (ou presque). C'est pourquoi, sans dénier
au Chef de l'Etat togolais le droit d'offrir ses bons offices dans
les nombreux problèmes qui secouent la sous-région,
il serait plus honnête de lui demander de "balayer d'abord
devant sa porte". Car, à force de voir les pailles qui
sont dans les yeux de ses voisins, il semble ignorer la poutre qui
est dans les siens. Et c'est cela qui est tout à fait ridicule.
Certes, parce que les organisations sous-régionales (notamment
la CEDEAO) ont montré leurs limites à juguler la crise
ivoirienne, certains Chefs d'Etat ont beau jeu de tirer profit du
cafouillage. Mais en laissant pourrir davantage la situation, ne
risque-t-on pas d'arriver à un point de non-retour, où
toute la sous-région peut s'embraser. Ce qui est sûr,
l'inimitié qui s'est installée entre certains Chefs
d'Etat ne manque pas d'impacts négatifs sur les liens séculiers
qui unissaient les peuples qu'ils dirigent. Et si on n'y prend garde,
le jeu d'intérêts qui mine aujourd'hui la région
des Grands lacs, risque de plomber sérieusement les initiatives
d'intégration pour lesquelles l'Afrique de l'Ouest s'illustrait
comme une "zone de paix".
L'essentiel aujourd'hui, n'est certainement pas de sauver des Chefs
de clans ou d'Etats, encore moins des réseaux d'influence,
mais bien un processus de démocratisation et d'intégration
pour lequel l'Afrique a déjà perdu trop de temps et
de ressources. Pour ce faire, la propension d'Eyadéma à
s'accrocher à des vieux clichés de "doyen"
ou de "sage", ne contribue qu'à assombrir davantage
l'image déjà mal en point du continent. Pour avoir,
pendant près de quatre décennies, dérobé
tout espoir d'alternance à son peuple, il a mieux à
faire pour redonner confiance à une jeunesse qui en a tant
besoin.
Comme le dit le sage adage, "il vaut mieux quitter les
choses avant que les choses ne vous quittent". La seule
réconciliation qui exige urgemment la médiation du
général Gnassigbé Eyadéma, c'est bien
celle du pouvoir politique avec le peuple togolais. Saura-t-il jouer
la carte de "sage" qu'il affectionne être.
Les semaines à venir nous le diront.
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