Lomé, 1er décembre 2002: Le début de
la confrontation armée entre soldats gouvernementaux et rebelles
du MPCI le 19 septembre 2002 en Côte d'Ivoire avait déclenché
un ballet diplomatique interafricain sans précédent
où certains Chefs d'Etat se bousculaient presque pour faire
médiation. D'aucuns pensaient que le devoir de cette médiation
revenait naturellement à l'Union Africaine (UA), actuellement
présidée par le Sud Africain Thabo MBEKI. D'autres
par contre estimaient que la crise avait une dimension sub-régionale
et relèverait en premier lieu de la compétence de
la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'ouest
(CEDEAO) actuellement présidée par le Sénégalais
Abdoulaye WADE. Une troisième initiative conduite par GNASSINGBÉ
Eyadema du Togo et Omar BONGO du Gabon croyait voir le salut du
peuple ivoirien dans une médiation conduite au Maroc sous
la direction du roi MOHAMMED VI. On notera que cette troisième
voie diplomatique, qui court-circuitait les institutions interafricaines
ou panafricaines, avait eu beaucoup de mal à convaincre de
son bien-fondé. L'absence de toute implication directe française
et le retrait démonstratif du Nigeria dans les initiatives
de médiation retiendront également l'attention.
En trouvant un compromis, qui consistera à faire confier
par la CEDEAO la coordination de la médiation au chef de
l'Etat togolais GNASSINGBÉ Eyadema et à attribuer
à l'Union Africaine un rôle d'observateur et d'inspecteur,
on imagine aisément que les conflits de loyauté étaient
programmés à l'avance: une telle médiation
est -elle redevable à la CEDEAO, à l'UA ou à
la France? Cette incertitude est d'autant plus inquiétante
que la coordinateur de la médiation, le général
Eyadema, est supposé expliquer aux protagonistes de la crise
ivoirienne ce que lui-même a échoué à
faire chez lui: le respect des textes et des institutions de la
République et l'entretien d'une armée républicaine
et l'organisation d'élections libres, équitables et
transparentes. Au regard de ces considérations, le doute
est permis sur les capacités et la volonté réelles
du général Eyadema à négocier et à
garantir - ne serait-ce que moralement - un accord éventuel
de sortie de crise pour les Ivoiriens. Mais tout cela n'est pas
nouveau. Ce qui est nouveau, c'est les incidences inattendues de
la crise ivoirienne sur la politique intérieure du Togo.
La médiatisation des similitudes
Dans sa propension à se positionner en " faiseur
de paix " et " homme de dialogue " sollicité
sur la scène internationale, le locataire de Lomé
II a immensément contribué à médiatiser
la crise ivoirienne auprès de l'opinion nationale togolaise
et internationale africaine. Il est vrai que le général
Eyadema lui-même en panne de légitimité et se
préparant à affronter une période de turbulence
en 2003 eut bien aimé se rendre utile à ses "
amis " afin de pouvoir, le moment venu, s'appuyer sur
une certaine dette de reconnaissance, seulement chaque jour qui
passe confirme davantage une évidence: la Paix que l'on ne
peut que souhaiter au Peuple ivoirien ne viendra pas de Lomé.
Car si Eyadema était un Chef d'Etat qui se laissait guider
pas la logique du fair play et donnant-donnant indispensable pour
gérer une telle crise en Cote d'Ivoire, son propre pays le
Togo n'en serait pas là: charity begins at home (charité
bien ordonnée commence chez soi). Mieux ou pire selon l'angle
de vue, chaque jour que dure la crise ivoirienne apprend davantage
aux Togolais les tenants et les aboutissants de cette rébellion,
sur la genèse du Mouvement Populaire de Cote d'Ivoire (MPCI).
Outre la jeune age de la direction des rebelles, qui leur assure
d'ores et déjà une sympathie grandissante chez les
jeunes Togolais, c'est aussi et surtout les similitudes entre les
revendications du MPCI et celles de l'opposition togolaise qui de
plus en plus frappent l'attention collective des Togolais.
Revendications d'ailleurs, revendications
d'ici
Après avoir abandonné les premières revendications
maximales à savoir le départ de la RCI des troupes
françaises et la démission immédiate du Président
Laurent GBAGBO (FPI), les rebelles du MPCI demandent ni plus ni
moins:
- l'abrogation du Code Electoral fondé sur les thèses
controversées de l'Ivoirité, qui exclut un pourcentage
non négligeable d'Ivoiriens en tant que candidats et en tant
qu' électeurs,
- la mise en place d'un gouvernement de transition devant préparer
de nouvelles élections libres et transparentes et la création
d'un comité de coordination qui superviserait l'action de
ce gouvernement de transition,
- la réforme des Forces Armées Nationales de Cote
d'Ivoire (FANCI) pour en faire une armée républicaine.
Pour ce, une commission d'experts militaires nationaux et internationaux
devra être mise en place qui sera chargée de proposer
des réformes de l'armée pour en faire une armée
véritablement nationale.
Autant de revendications qui auraient pu venir de l'opposition
togolaise. Signes de plus en plus évidents de l'irritation
du général Eyadema au niveau de la médiation
ouest africaine engagée depuis le 30 octobre 2002: Les "
propositions de sortie de crise remises plus tôt dans la
journée du jeudi 28 novembre par les rebelles du Mouvement
patriotique de Côte d'Ivoire (MPCI) ont été
rejetées séance tenante ", non pas par la
partie gouvernementale ivoirienne, comme on aurait pu le penser,
mais " par la médiation conduite par le général
Eyadema ". Selon Sidiki KONATÉ, porte-parole du
MPCI dans la capitale togolaise, " aucune précision
supplémentaire n'a été donnée par la
médiation de la (CEDEAO) pour expliquer ce rejet ".
Quelques jours auparavant, le ministre français des Affaires
Etrangères Dominique de VILLEPIN était passé
à Lomé pour " apporter son soutien aux efforts
de médiation du général Eyadema ",
tant il est vrai qu'on ne soutient que quelqu'un qui en a besoin
ou qui ne se sent pas en équilibre. Une telle médiation
parle t-elle réellement au nom et dans le sens des intérêts
des Ouest Africains ou emprunte t-on cette couverture pour servir
de vecteur à d'autres intérêts qui ne disent
pas leurs noms? Le mutisme éloquent du Secrétaire
Exécutif de la CEDEAO, Mohamed Ibn CHAMBAS, en dit long sur
le partage des rôles dans la gestion de cette médiation.
Il ne surprend qu'à moitié que le lendemain, que
" les rebelles ivoiriens somment à Lomé la
médiation ouest africaine de condamner les attaques gouvernementales
de la veille contre leurs positions dans la région de Vavoua
(ouest) et de demandent au président Laurent Gbagbo de respecter
le cessez-le-feu conclu le 17 octobre ". Dans une déclaration
sur un ton de sommation adressée à la médiation
de la CEDEAO et publiée à Lomé, le Mouvement
patriotique de Côte d'Ivoire (MPCI, branche politique de la
rébellion) "s'étonne sérieusement du
mutisme de la médiation devant cette violation flagrante
du cessez-le-feu. Et le MPCI de rappeler que " depuis
plus d'une semaine, elle avait alerté et interpellé
l'opinion internationale et la médiation de ce danger imminent
".
La colère d'un médiateur
douteux
Le Président Eyadéma en colère, ira même
jusqu'à menacer d'expulser Guillaume SORO, Secrétaire
Général du MPCI et chef de délégation
des rebelles et sa suite non pas à Bouaké (ville située
en zone contrôlée par les rebelles, mais à Abidjan
pour les remettre au président Laurent Gbagbo afin qu'ils
se prononcent sur leur coup funeste ... Face à la colère
du président Eyadéma, les autres membres de la médiation
lui auraient demandé de leur accorder 24 heures afin qu'ils
puissent " tenter de raisonner les rebelles " et
surtout les sensibiliser sur les risques qu'ils courent à
se mettre à dos la communauté internationale. Une
telle expulsion serait une maladresse sans précédent
dans les annales diplomatiques. En effet, venir à Lomé
à la table de négociation à bords d'un avion
militaire spécial français et de repartir en prisonniers
livrés menottes aux poings à ses adversaires politiques.
Une telle gaffe diplomatique en dirait long sur la conception de
la paix à Lomé II. Coté gouvernement ivoirien,
même son de cloche: Si la CEDEAO considère qu'elle
est au bout de ses peines, qu'elle nous libère ... Nous irions
libérer notre pays, devrait ajouté Laurent Dona FOLOGO,
Chef de la délégation gouvernementale.
Dieu protège la Côte d'Ivoire
contre ce type de médiation
Il ne surprend pas non plus que ce soit le moment que choisisse
"La Voie ", l'organe de presse du parti au pouvoir en
Cote d'Ivoire dans son édition du 30 Novembre 20021 pour
réclamer " la guerre totale et la fin des négociations
de Lomé". Le même jour, des militaires gouvernementaux
accompagnés de mercenaires étrangers parmi lesquels
de personnes de type européens avaient lancé une offensive
dans la région de Vavoua, à environ 120 km à
l'est de Man, contre des positions des rebelles du MPCI qui contrôlent
la moitié nord du pays depuis le 19 septembre. Dans la soirée,
deux colonnes parties pour attaquer Vavoua - passant ainsi la ligne
de non franchissement contrôlée par des soldats français
- s'étaient entièrement repliées à Daloa
(ouest) après des accrochages avec des rebelles. Pour la
première fois depuis le début des affrontements, il
est question de l'existence sur le terrain du Mouvement pour la
Justice et la Paix (MJP) présenté comme une composante
nordiste du MPCI et du Mouvement Populaire Ivoirien du Grand Ouest
(MPIGO), de la région du feu général GUEI et
avec dans ses rangs de jeunes anglophones originaires du Libéria
frontalier. Au regard de ce pourrissement auquel ont conduit les
" efforts de médiation du général Eyadema
", on ne peut que souhaiter aux Ivoiriens que Dieu protège
la Côte d'Ivoire contre ce type de " médiateur
".
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