LE COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME CLÔT LES TRAVAUX DE
SA SOIXANTE-SEIZIÈME SESSION
Comité des droits de l'homme
76ème session
1er novembre 2002
Observations finales sur l'Égypte
et le Togo
COMMUNIQUE FINAL - Le Comité des droits de l'homme
a clos ce matin, au Palais Wilson, à Genève, les travaux
de sa soixante-seizième session en présentant ses
observations finales sur les rapports présentés par
l'Égypte et le Togo en vertu du Pacte international relatif
aux drois civils et politiques.
Dans ses observations finales sur l'Égypte, le Comité
se réjouit de certaines initiatives prises ces dernières
années par ce pays dans le domaine des droits de l'homme,
en particulier la création de divisions des droits de l'homme
au sein des ministères de la justice et des affaires étrangères,
et note également que des améliorations sont intervenues
en ce qui concerne la condition de la femme. Il note néanmoins
avec préoccupation le très grand nombre de crimes
passibles de la peine de mort en vertu du droit égyptien
et recommande au pays de prendre des mesures en vue d'abolir la
peine capitale. Il note en outre avec préoccupation la persistance
d'actes de torture et de traitement cruel, inhumain ou dégradant
perpétrés par le personnel responsable de l'application
des lois. Il est par ailleurs demandé à l'Égypte
de s'assurer que l'action légitime contre le terrorisme ne
devienne pas source de violations du Pacte. D'autre part, le Comité
se dit préoccupé par les infractions à la liberté
de religion ou de croyance et déplore l'interdiction par
les autorités des activités de culte de la communauté
bahaie.
En ce qui concerne le Togo, le Comité se réjouit
de la place accordée par la Constitution aux instruments
internationaux relatifs aux droits de l'homme, en particulier le
Pacte dont les dispositions font partie intégrante de la
Constitution. Il se félicite en outre de l'adoption, en novembre
1998, d'une loi interdisant la pratique des mutilations génitales
féminines. Le Comité tient toutefois à exprimer
ses inquiétudes face aux contradictions importantes existant
entre, d'une part, les allégations nombreuses et concordantes
faisant état de violations graves de plusieurs dispositions
du Pacte, en particulier les articles 6, 7 et 19 (portant respectivement
sur le droit à la vie, notamment du point de vue de la peine
de mort, sur l'interdiction de la torture et sur le droit à
liberté d'expression), et, d'autre part, les dénégations
parfois catégoriques formulées par le Togo. De l'avis
du Comité, le Togo n'a pas démontré sa volonté
de faire toute la lumière sur ces allégations. Rappelant
que la présentation et l'examen des rapports visent à
l'établissement d'un dialogue constructif et sincère,
le Comité invite le Togo à déployer tous les
efforts dans ce sens.
Le Comité a décidé que l'Égypte et
le Togo devraient présenter leurs prochains rapports périodiques
avant le 1er novembre 2004 et que le Suriname, dont la situation
a été examinée au cours de cette session en
l'absence de rapport et dont la délégation qui s'est
présentée devant le Comité a demandé
à bénéficier d'un délai de six mois
pour préparer un rapport - devrait quant à lui présenter
son prochain rapport avant le 1er mai 2003.
Au cours de cette session de trois semaines, entamée le
14 octobre dernier, le Comité a également entamé
l'examen d'un projet d'observation générale sur l'article
2 du Pacte qui traite de "la nature de l'obligation juridique
imposée aux États parties". Il a en outre tenu,
le 24 octobre, sa deuxième réunion avec les États
parties au Pacte.
Le Comité a par ailleurs décidé de créer
deux petits groupes de travail. Le premier sera chargé d'examiner
les réponses à apporter au rapport du Secrétaire
général des Nations Unies: «Renforcer l'ONU:
un programme pour aller plus loin dans le changement», présenté
cette semaine à l'Assemblée générale.
Ce groupe de travail sera composé de M. Abdelfattah Amor,
de M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati et de M. Hipolito Solari
Yrigoyen. Le second groupe de travail sera chargé d'entreprendre
des consultations sur la question des réserves avec la Commission
du droit international.
Au cours de sa prochaine session, qui se tiendra à Genève
du 17 mars au 4 avril 2003, le Comité examinera les rapports
de l'Estonie, du Luxembourg, du Mali et d'Israël.
Observations finales adoptées au
cours de la session
Dans ses observations finales sur le troisième rapport périodique
du Togo, le Comité tient notamment à exprimer ses
inquiétudes face aux contradictions importantes existant
entre, d'une part, les allégations nombreuses et concordantes
faisant état de violations graves de plusieurs dispositions
du Pacte, en particulier les articles 6, 7 et 19 (portant respectivement
sur le droit à la vie, notamment du point de vue de la peine
de mort, sur l'interdiction de la torture et sur le droit à
liberté d'expression), et, d'autre part, les dénégations
parfois catégoriques formulées par le Togo. De l'avis
du Comité, le Togo n'a pas démontré sa volonté
de faire toute la lumière sur ces allégations. Rappelant
que la présentation et l'examen des rapports visent à
l'établissement d'un dialogue constructif et sincère,
le Comité invite le Togo à déployer tous les
efforts dans ce sens. Le Comité se réjouit néanmoins
de la place accordée par la Constitution togolaise aux instruments
internationaux relatifs aux droits de l'homme, en particulier le
Pacte dont les dispositions font partie intégrante de la
Constitution. Il se félicite en outre de l'adoption, en novembre
1998, d'une loi interdisant la pratique des mutilations génitales
féminines.
Le Comité note toutefois avec préoccupation que le
processus d'harmonisation des lois nationales avec les dispositions
de la Constitution et des instruments internationaux relatifs aux
droits de l'homme est au point mort. Il s'inquiète en outre
que de nombreux projets de réformes, concernant notamment
les droits des enfants et des femmes, annoncés parfois depuis
plusieurs années, n'ont pas abouti. Le Togo devrait donc
réviser sa législation de manière à
la mettre en conformité avec les dispositions du Pacte. Le
Comité se dit par ailleurs préoccupé par des
informations selon lesquelles de nombreuses exécutions extrajudiciaires,
arrestations arbitraires, menaces et intimidations perpétrées
par les forces de sécurité togolaises contre les membres
de la population civile, notamment les membres de l'opposition,
n'ont pas fait l'objet d'enquêtes crédibles par le
Togo. Le Comité note également que l'adoption de lois
telles que la Loi d'amnistie générale adoptée
en décembre 1994 est de nature à renforcer la culture
de l'impunité au Togo. Il est d'autre part préoccupé
par le fait que la Commission internationale d'enquête conjointe
ONU/OUA a conclu à "l'existence d'une situation de violations
systématiques des droits de l'homme au Togo au cours de l'année
1998". Le rejet catégorique du rapport de cette Commission,
déclaré irrecevable par le Togo, et la création,
quelques semaines plus tard, d'une Commission nationale d'enquête,
laquelle n'a manifestement pas cherché à identifier
précisément les auteurs des violations portées
à l'attention du Gouvernement, suscitent par ailleurs la
plus grande inquiétude du Comité. Le Togo devrait
adopter des mesures législatives ou autres pour réprimer
et prévenir la perpétration de telles violations et
devrait établir, par voie judiciaire, les responsabilités
individuelles des auteurs présumés de ces violations.
Prenant en compte avec satisfaction que, depuis plusieurs années,
aucune condamnation à mort prononcée par un tribunal
n'a été exécutée au Togo, le Comité
estime cependant que le pays devrait restreindre les cas pour lesquels
la peine capitale est encourue et garantir que celle-ci n'est prononcée
que pour les crimes les plus graves. Le Comité demande en
outre que lui soient fournies des informations précises sur
les personnes condamnées à mort au titre des articles
du Code pénal relatifs aux attentats contre la sûreté
intérieure de l'État. Il recommande au Togo d'abolir
la peine capitale et d'adhérer au deuxième Protocole
facultatif se rapportant au Pacte.
Le Comité s'inquiète d'autre part des informations
concordantes selon lesquelles les agents de l'ordre public font
usage d'un recours excessif à la force lors de manifestations
estudiantines et de divers rassemblements organisés par l'opposition
et affirme que le Togo devrait ouvrir des enquêtes impartiales
à la suite de toute allégation relative à un
usage excessif de la force publique. Il relève par ailleurs
avec inquiétude que de nombreuses allégations font
état d'une pratique courante de la torture au Togo, en particulier
lors de différentes arrestations, de la garde à vue
et dans les lieux de détention, alors que, selon le Togo,
seuls quelques rares cas auraient été commis et auraient
fait l'objet de sanctions. Le Togo devrait honorer sa promesse de
transmettre au Comité dans les meilleurs délais des
informations écrites concernant le traitement des détenus
dans les camps de Landja et de Temedja. Le pays devrait en outre
veiller à ce que tous les actes de torture constituent des
infractions au regard de son droit pénal et interdire qu'une
déclaration obtenue sous la torture soit utilisée
comme élément de preuve. Il devrait par ailleurs identifier
les prisonniers qui seraient détenus pour des raisons politiques
au Togo et revoir leur situation. Le pays devrait aussi garantir
que les personnes arrêtées arbitrairement soient libérées
dans les plus brefs délais. Par ailleurs, le délai
de 48 heures pour la garde à vue serait peu respecté
en pratique et certaines personnes seraient détenues sans
inculpation ou en attente de jugement pendant plusieurs années.
Le Comité constate que les conditions de détention
sont déplorables au Togo, notamment dans les prisons civiles
de Lomé et de Kara. Le Comité se dit en outre fortement
préoccupé par le harcèlement, les intimidations
continues et les arrestations dont seraient victimes les journalistes
et par le fait que plusieurs publications et radios indépendantes
auraient été censurées depuis le début
de l'année. Constatant que le Code de la presse et de la
communication a été modifié au cours de ces
deux dernières années dans un sens particulièrement
répressif, le Comité estime que le Togo devrait revoir
ce Code et garantir qu'il réponde à l'article 19 du
Pacte (relatif à la liberté d'expression). Le Togo
devrait par ailleurs garantir l'accès équitable des
partis politiques aux médias, publics et privés. Le
Comité se dit d'autre part préoccupé par les
informations selon lesquelles les manifestations pacifiques organisées
par la société civile sont régulièrement
interdites et violemment dispersées par les autorités.
Il note avec une grande inquiétude que le Code des personnes
et de la famille contient toujours des dispositions discriminatoires
envers les femmes, notamment en matière d'âge minimum
pour se marier, de choix du domicile conjugal et de liberté
de travailler. Le Comité s'inquiète en outre de la
persistance de discriminations envers les femmes et les jeunes filles
dans le domaine de l'accès à l'éducation et
à l'emploi, de l'héritage et de la représentation
politique.
Dans ses observations finales sur les troisième et quatrième
rapports périodiques de l'Égypte, le Comité
se réjouit d'avoir été mesure de renouer un
dialogue avec le pays alors que huit années se sont écoulées
depuis l'examen du rapport précédent. Il se réjouit
en outre de certaines initiatives prises ces dernières années
par l'Égypte dans le domaine des droits de l'homme, en particulier
la création de divisions des droits de l'homme au sein des
ministères de la justice et des affaires étrangères.
Il note également que des améliorations sont intervenues
en ce qui concerne la condition de la femme. Le Comité regrette
cependant le manque de clarté qui entoure la question de
la place du Pacte au regard du droit interne. Il recommande à
l'Égypte de faire en sorte que sa législation donne
pleinement effet aux droits reconnus dans le Pacte et que des recours
effectifs soient disponibles pour l'exercice de ces droits. Tout
en soulignant que l'Égypte considère les dispositions
de la charia islamique comme n'entrant pas en conflit avec le Pacte,
le Comité note la nature générale et ambiguë
de la déclaration faite par le pays lorsqu'il a ratifié
le Pacte. L'Égypte devrait donc clarifier la portée
de sa déclaration ou la retirer. Le Comité se dit
perturbé par le fait que l'état d'urgence proclamé
par l'Égypte en 1981 soit toujours en vigueur.
L'Égypte est en outre encouragée à accélérer
ses efforts visant à assurer une plus grande participation
des femmes à tous les niveaux de la société
et de l'État. Le Comité note par ailleurs la nature
discriminatoire de certaines dispositions du Code pénal qui
ne traitent pas sur un pied d'égalité les hommes et
les femmes s'agissant des questions d'adultère. Il attire
également l'attention sur la discrimination qui affecte les
femmes en ce qui concerne la transmission de la nationalité
à leurs enfants lorsque leurs époux ne sont pas Égyptiens
ainsi qu'en ce qui concerne les règles d'héritage.
L'Égypte devrait en outre éradiquer la pratique des
mutilations génitales féminines qui persiste en dépit
des campagnes d'action menées contre cette pratique. Le Comité
note d'autre part avec préoccupation le très grand
nombre de crimes passibles de la peine de mort en vertu du droit
égyptien et recommande au pays de prendre des mesures en
vue d'abolir la peine capitale. Il note en outre avec préoccupation
la persistance d'actes de torture et de traitement cruel, inhumain
ou dégradant perpétrés par le personnel responsable
de l'application des lois, en particulier les services de sécurité
dont le recours à de telles pratiques semble revêtir
un caractère systématique. Le Comité est également
préoccupé par le manque d'enquêtes sur de telles
pratiques et de punition des personnes responsables. Relevant la
persistance de cas de détention arbitraire, le Comité
prie l'Égypte de se pencher sur la compatibilité de
sa législation et de sa pratique en matière de garde
à vue et de détention avant jugement avec les dispositions
pertinentes du Pacte. Le Comité relève en outre que
persistent dans le pays des conditions de détention qui sont
incompatibles avec le Pacte.
Tout en comprenant les exigences sécuritaires associés
aux efforts de lutte contre le terrorisme, le Comité exprime
sa préoccupation face à leurs effets sur la situation
des droits de l'homme en Égypte, en particulier en ce qui
concerne les articles 6,7,9 et 14 du Pacte (qui traitent respectivement
du droit à la vie, de l'interdiction de la torture, de l'interdiction
de la détention arbitraire et du droit à un procès
équitable). Le Comité considère notamment que
le caractère large et général de la définition
de la torture telle qu'énoncée dans la loi n°97
de 1992 a pour effet d'accroître le nombre de crimes passibles
de la peine de mort d'une manière qui va à l'encontre
du sens du paragraphe 2 de l'article 6 du Pacte (qui stipule notamment
que "dans les pays où la peine de mort n'a pas été
abolie, une sentence de mort ne peut être prononcée
que pour les crimes les plus graves"). Le Comité note
avec inquiétude que les tribunaux militaires et les tribunaux
de sécurité de l'État ont juridiction pour
juger des civils accusés de terrorisme bien qu'il n'existe
aucune garantie quant à l'indépendance de ces tribunaux
et que leurs décisions ne puissent pas faire l'objet d'un
appel devant un tribunal supérieur. Le Comité note
également que des ressortissants égyptiens suspectés
de terrorisme ou condamnés pour terrorisme à l'étranger
et expulsés vers l'Égypte n'ont pas bénéficié
en détention des garanties requises visant à assurer
qu'ils ne soient pas maltraités, certains ayant été
détenus au secret pendant des périodes de plus d'un
mois. Il est donc demandé à l'Égypte de s'assurer
que l'action légitime contre le terrorisme ne devienne pas
source de violations du Pacte. Le Comité se dit par ailleurs
préoccupé par les infractions à la liberté
de religion ou de croyance et déplore l'interdiction, par
les autorités, des activités de culte de la communauté
bahaie. Il se dit également préoccupé par les
pressions exercées sur le judiciaire par des extrémistes
prétendant représenter l'Islam qui sont même
parvenus, dans certains cas, à imposer aux tribunaux leur
propre interprétation de la religion. Le Comité est
en outre profondément préoccupé par le manque
de réaction de l'Égypte aux très violents articles
contre les Juifs apparus dans la presse égyptienne et constituant
une incitation à la discrimination, à l'hostilité
et à la violence. Relevant la pénalisation de certains
comportements particuliers tels que ceux qualifiés de "débauche",
le Comité indique que l'Égypte devrait s'abstenir
de sanctionner des relations sexuelles privées entre adultes
consentants. Notant les entraves de jure et de facto opposées
à l'établissement et au fonctionnement des partis
politiques, le Comité affirme que l'Égypte devrait
permettre l'expression démocratique du pluralisme politique
et donc se conformer à ses obligations en vertu du Pacte
dans ce domaine.
Composition du Comité
Le Comité est composé de dix-huit experts qui siègent
à titre individuel. Les membres du Comité sont M.
Abdelfattah Amor (Tunisie); M. Nisuke Ando (Japon); M. Prafullachandra
Natwarlal Bhagwati (Inde); Mme Christine Chanet (France); M. Maurice
Glèlè-Ahanhanzo (Bénin); M. Louis Henkin (États-Unis);
M. Eckart Klein (Allemagne); M. David Kretzmer (Israël); M.
Rajsoomer Lallah (Maurice); Mme Cecilia Medina Quiroga (Chili);
M. Rafael Rivas Posada (Colombie); M. Nigel Rodley (Royaume-Uni);
M. Martin Scheinin (Finlande); M. Ivan Shearer (Australie); M. Hipolito
Solari Yrigoyen (Argentine); M. Ahmed Tawfik Khalil (Égypte);
M. Patrick Vella (Malte); et M. Maxwell Yalden (Canada).
M. Bhagwati est Président du Comité. MM. Amor, Kretzmer
et Solari Yrigoyen sont vice-présidents et M. Klein est le
Rapporteur du Comité.
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